Compromis, hétérogénéité individuelle et plasticité dans les traits d'histoire de vie du mouflon d'Amérique (Ovis canadensis)

Abstract

Selon la théorie des histoires de vie, les individus devraient essayer de maximiser la transmission de leurs gènes aux générations futures. Au sein d’une population, des différences inter-individuelles dans la transmission de gènes, aussi nommées différences inter-individuelles en valeur sélective, peuvent survenir à cause de différences dans l’acquisition et l’allocation de ressources. En milieu naturel, l’acquisition de ressources est un facteur limitant à la valeur sélective. Puisque la disponibilité des ressources est variable dans l’espace et dans le temps, les individus ne peuvent pas tous acquérir la même quantité de ressources. De plus, pour une quantité de ressources acquises identique, des individus peuvent avoir des tactiques d’allocation différentes dans lesquelles ils compromettent davantage l’allocation à certains traits plutôt que d’autres. Bien que l’acquisition et l’allocation des ressources aient été largement étudiées indépendamment, il reste plusieurs lacunes fondamentales dans nos connaissances sur l’hétérogénéité individuelle dans ces deux processus et sur les liens entre les deux. L'objectif principal de cette thèse est d’améliorer les connaissances fondamentales sur les processus et paramètres affectant l’allocation de ressources à divers traits d’histoire de vie, surtout la reproduction et la croissance, dans le cadre des compromis d'histoire de vie et de la plasticité phénotypique. Cet objectif est réalisé à l’aide d’études empiriques sur la population de mouflon d’Amérique (Ovis canadensis) à Ram Mountain, Alberta, Canada. Un suivi longitudinal de cette population a débuté en 1971 et perdure donc depuis plus de 50 ans. Les données issues du suivi de la population sont exceptionnellement détaillées et idéales pour étudier l’acquisition et l’allocation des ressources. Les données cumulées longitudinalement comportent le sexe, l’âge, la survie, la reproduction et le gain de masse annuel de tous les individus dans la population. De l’objectif principal de cette thèse découlent cinq sous-objectifs qui correspondent chacun à un chapitre. Le chapitre deux montre comment l’environnement et l’histoire de vie des individus modulent le compromis d’allocation des ressources entre la croissance et la reproduction. Ensuite, dans ce même chapitre, je montre comment la croissance individuelle annuelle peut être utilisée pour prédire le statut reproducteur. Ces modèles prédictifs permettront d’estimer des paramètres démographiques importants, comme l’âge à la primiparité, utiles à la gestion et à la conservation des espèces. Dans le chapitre trois, je montre comment les différences individuelles dans les comportements d’acquisition des ressources sont intimement reliées à l’allocation des ressources à la croissance et à la reproduction. Dans le chapitre quatre, je présente un cadre analytique permettant de mieux comprendre et évaluer les compromis d’histoire de vie et la plasticité phénotypique. Précisément, je mets de l’avant un modèle bayésien d’équations structurelles à partir duquel je présente un réseau d’effets directs et indirects permettant de mieux prédire la phénologie de la mue et les compromis d’allocation des ressources associés. Dans le chapitre cinq, j’explore l'expression intra-populationnelle de l'hétérogénéité individuelle dans les trajectoires d’histoire de vie. Ce chapitre montre un fort niveau d’hétérogénéité individuelle dans la covariation temporelle des principaux traits d’histoire de vie, qui suggère une forte hétérogénéité dans l’allocation et l’acquisition des ressources. Ces résultats démontrent comment l’hétérogénéité individuelle peut influencer plusieurs processus biologiques comme la croissance, la sénescence et les compromis d’allocation. Enfin, le chapitre six évalue les déterminants de la valeur sélective des femelles mouflons d’Amérique. En mesurant la valeur sélective de sept façons différentes, ce chapitre montre que les déterminants ne sont pas les mêmes pour chaque estimation de la valeur sélective. Ce résultat indique que les méthodes d’estimation empiriques de la valeur sélective ne sont pas toujours comparables et qu’il faut faire attention à toutes inférences tirées de ces estimations. Cette thèse comble plusieurs lacunes méthodologiques et théoriques importantes dans notre compréhension de l’allocation et l’acquisition des ressources dans le cadre de la théorie des histoires de vie. Par exemple, à l’aide de récentes percées en biostatistiques comme l’utilisation de modèles linéaires mixtes multivariés et modèles de mixtures, la thèse montre empiriquement que l’allocation et l’acquisition sont indissociables et présente de nouveaux outils pour étudier les compromis d’histoire de vie et la plasticité phénotypique. Enfin, la thèse contextualise plusieurs résultats pour la gestion et conservation de la faune.