Variation intra-individuelle de la mentalisation dans la population générale : enjeux de la personnalité et situations relationnelles

Abstract

La mentalisation est de plus en plus considérée comme un processus dynamique, c’est-à-dire comme une fonction mentale qui est sujette à varier et, surtout, qui peut être fragilisée par divers contextes, surtout lorsqu’ils génèrent une activation affective. Quelques études ont constaté ces variations contextuelles, mais trop peu ont tenté de les comprendre en regard des enjeux de personnalité qui peuvent intervenir. Le modèle de Blatt (2008) dépeint deux types de personnalité qui mettent en lumière des sensibilités contrastantes. La personnalité anaclitique est associée à des préoccupations démesurées à propos des besoins d’affiliation, puis la personnalité introjective est structurée par des préoccupations excessives en rapport aux besoins de définition de soi. Les enjeux anaclitiques seraient activés par les perturbations relationnelles (abandon), tandis que les enjeux introjectifs seraient activés par les perturbations au sens de soi (critique). Ce modèle permet donc d’étudier des enjeux de personnalité contrastants, puis de cibler les contextes respectifs en mesure d’activer ces enjeux et de potentiellement créer une chute de mentalisation. Puisque chaque type de personnalité peut être plus ou moins développé, et donc, disposer de différents niveaux de ressources psychiques, il apparaît pertinent de considérer également l’influence du niveau d’organisation de personnalité sur la mentalisation. Le premier objectif de la thèse était de vérifier si la mentalisation, conçue comme le Fonctionnement réflexif (FR), varie de manière intra-individuelle en comparant le niveau de FR entre les conditions d’abandon, de critique et une condition contrôle. Le deuxième objectif était de cibler les divers points de bascule dans la mentalisation à partir des contextes tout juste nommés, des caractéristiques personnelles (traits anaclitiques, traits introjectif, organisation de la personnalité) et de l’interaction entre les deux. Les contextes représentent des stimuli ayant le potentiel d’activer les enjeux de personnalité anaclitique et introjective. Pour répondre aux objectifs, 111 adultes volontaires issus de la population générale ont répondu à des questionnaires autorapportés évaluant leur personnalité, puis ont pris parti à une procédure expérimentale basée sur la collecte de récits autobiographiques concernant les trois contextes à l’étude. L’échelle de FR a été appliquée aux retranscriptions d’entretien. Une série de trois analyses (multiniveaux à mesures répétées, de modération et de profils latents) a révélé un FR plus faible dans les conditions d’abandon et de critique que dans la condition contrôle. L’effet d’interaction contexte-personnalité est toutefois équivoque : la personnalité introjective est associée à un FR plus faible à la critique, mais la personnalité anaclitique est liée à un meilleur FR de l’abandon, malgré l’activation affective que ce contexte a provoquée. De plus, les résultats dénotent l’effet positif de la personnalité anaclitique sur le FR global, suivant son niveau développemental. Cette étude met en lumière des liens inattendus quant aux influences situationnelles et dispositionnelles de la mentalisation. Principalement, il semble qu’à la rencontre de leur propre point sensible, ce ne sont pas tous les individus qui mentalisent moins bien, et même que certains arrivent à mieux mentaliser ces situations. Les implications cliniques et scientifiques sont discutées, en réfléchissant à l’importance de l’affiliation dans le déploiement de la mentalisation, puis en portant un regard critique sur l’évaluation de la mentalisation. Des recommandations pour les futures recherches sont proposées en conséquence.