Les difficultés identitaires, affectives et relationnelles ainsi que les expériences antérieures de maltraitance des mères ayant été placées en centre de réadaptation à l’adolescence : liens avec leurs fonctions réflexives parentales

View/ Open
Publication date
2022Author(s)
Bédard, Daphnée
Subject
Fonctions réflexives parentalesAbstract
Les mères ayant été placées en centre de réadaptation (CR) sous la protection de la jeunesse sont à risque de présenter un large éventail de difficultés à l’âge adulte (Aparicio, 2016; Connolly et al., 2012; Lanctôt, 2020). À la suite d’expériences répétées de maltraitance, de ruptures relationnelles ou d’instabilité de placement, plusieurs restent aux prises avec des conséquences à l’âge adulte sur les plans identitaire (ex. : tendance à se critiquer et à s’imposer des standards élevés; Aparicio, 2016; Maxwell et al., 2011), affectif (ex. : discours interne négatif; Colbridge et al., 2017) et relationnel (ex. : sentiment d’ambivalence, de rejet ou de méfiance dans leurs relations; Colbridge et al., 2017). Ces difficultés pourraient potentiellement entraver les capacités de ces mères à reconnaitre et comprendre leurs états mentaux (notamment en lien avec leur rôle parental) et ceux de leur enfant, ce qui correspond à leurs fonctions réflexives parentales (FRP; Fonagy et Target, 2006; Slade, 2005). Ce constat est par ailleurs appuyé, en partie, par le modèle des répercussions liées aux traumas interpersonnels de Godbout et ses collègues (2018). Ce modèle stipule qu’une personne victime de maltraitance durant l’enfance et présentant des conséquences à l’âge adulte sur une des composantes du modèle (ex. : identité et concept de soi altéré) risque d’en éprouver également sur d’autres composantes (ex. : mentalisation). Afin de connaitre l’état des connaissances sur les différents facteurs associés aux FRP de mères en situation de vulnérabilité, une recension des écrits a été réalisée.
La recension a soulevé que deux outils de mesure sont utilisés pour évaluer les FRP des mères. D’abord, le Parent Development Interview (PDI; Aber et al., 1985) repose sur un système de codification des verbatims évaluant la présence de FRP sur une échelle continue, allant de faible à élevée. Ensuite, le Parental Reflective Functioning Questionnaire (PRFQ; Luyten et al., 2017) est un questionnaire auto-rapporté qui évalue les FRP des mères à l’aide de trois dimensions continues portant sur des capacités lacunaires (prémentalisation, certitude) ou adaptées (intérêt curiosité). La recension met en lumière l’apport ajouté qu’offre le PRFQ, soit l’évaluation des FRP à l’aide de trois dimensions. Aussi, bien que les résultats des études antérieures aient montré des liens entre la maltraitance, la santé mentale, les pratiques parentales, les caractéristiques personnelles ainsi les facteurs sociodémographiques et les FRP des mères, l’effet cumulé des difficultés identitaires, affectives et relationnelles sur la capacité des mères à reconnaitre et comprendre les états mentaux de leur enfant (FRP) n’a toujours pas été exploré. Par ailleurs, aucune étude n’a évalué ces difficultés chez des mères placées en CR à l’adolescence, une population particulièrement vulnérable en raison de leur parcours de vie marqué d’expériences adverses (Lanctôt et Turcotte, 2018; Maxwell et al., 2011; Pryce et Samuels, 2010).
Afin de répondre à ce manque de connaissance, l’objectif du présent mémoire est d’examiner, à partir d’un devis corrélationnel et quantitatif auprès d’un échantillon de mères ayant été placées en CR à l’adolescence, si et à quel point le cumul de formes de maltraitance subie à l’enfance et les difficultés identitaires, affectives et relationnelles présentes à l’âge adulte, sont associées à leurs FRP. Afin de soutenir adéquatement ces femmes dans leur rôle maternel, il importe de mieux comprendre l’association entre leurs difficultés et leurs FRP, un facteur d’influence incontestable dans l’adaptation de leur enfant (Kelly et al., 2005; Rossignol et al., 2013; Slade, 2007; Slade et al., 2005), tout en considérant leurs expériences de vie adverses liées au placement.
Pour répondre à l’objectif de recherche, ce mémoire repose sur des données issues d’un projet longitudinal de plus grande envergure, ayant débuté en 2008 auprès d’adolescentes placées en CR (Lanctôt, 2008-2011; 2012-2015; Paquette, 2017-2021). Les données d’un sous-échantillon de 37 mères ayant complété les deux temps de mesure ciblés par la présente étude ont été examinées. Au Temps 1, lorsque les jeunes femmes étaient âgées en moyenne de 19,37 ans (É.T. = 1,46), le cumul de formes de maltraitance subie à l’enfance a été évalué de manière rétrospective à l’aide du Childhood Trauma Questionnaire (CTQ; Bernstein et al., 2003; Paquette et al., 2004). Sept ans plus tard (Temps 2 de la présente étude), les participantes devenues mères (M âge = 26,00 ans; É.T. = 1,59) ont été invitées à compléter le Trauma Symptoms Inventory 2 (TSI-2; Briere, 2011) pour évaluer leurs difficultés identitaires, affectives et relationnelles. Elles ont aussi complété le PRFQ (Luyten et al., 2017) afin d’évaluer leurs FRP lacunaires et adaptées selon les trois dimensions du questionnaire (prémentalisation, certitude, intérêt-curiosité).
Des analyses de régression logistique par rééchantillonnage ont permis d’observer la contribution du cumul de formes de maltraitance, ainsi que des difficultés identitaires, affectives et relationnelles, sur les FRP de prémentalisation, caractérisées par des attributions malveillantes ou une incapacité de la mère à entrer dans le monde subjectif de l’enfant. Précisément, pour une augmentation d’une unité de maltraitance, donc une forme de plus, la probabilité d’avoir un score plus élevé que la médiane sur les FRP de prémentalisation peut être augmentée jusqu’à 139 % (p = 0,01) reflétant une distorsion plus importante des FRP de la mère à l’égard des états mentaux de l’enfant, voire une plus grande incapacité à le comprendre. Les résultats indiquent également que plus ces mères ont une perception déficitaire d’elles-mêmes, des symptômes dépressifs ou un attachement insécurisant, plus elles risquent de présenter des FRP de prémentalisation élevées, considérées lacunaires (RC = 1,19; p = 0,01; RC = 1,28; p = 0,01; RC = 1,13; p = 0,02, respectivement). De plus, lorsque toutes les variables sont prises en compte dans un même modèle d’analyse, le cumul de formes de maltraitance ainsi que les symptômes dépressifs sont significativement associés à des FRP de prémentalisation élevées (RC = 1,19; p = 0,01; RC = 1,37; p = 0,01, respectivement). Aucun lien n’a été observé entre les variables indépendantes de la présente étude et les deux autres dimensions des FRP (certitude et intérêt-curiosité).
Ces résultats montrent que les difficultés qu’éprouvent ces mères placées en CR à l’adolescence recoupent plusieurs composantes du modèle de répercussions liées aux traumas interpersonnels de Godbout et al. (2018). Les expériences adverses de ces mères semblent donc entrainer des conséquences négatives chez elles et à l’égard de leurs pratiques parentales, par leurs difficultés à reconnaitre et comprendre les états mentaux de leur enfant.
Malgré le petit échantillon de l’étude, les résultats obtenus fournissent des pistes d’intervention à prioriser chez ces mères. D’abord, dès la sortie du placement, les jeunes femmes peuvent présenter des difficultés variées (Colbridge et al., 2017; Kelly et al., 2021; Lanctôt, 2020), soulignant la nécessité de leur offrir des interventions individuelles qui ciblent précisément les difficultés identitaires, affectives et relationnelles afin de favoriser leur réadaptation. Ensuite, considérant que les FRP sont un facteur d'influence crucial pour le développement et l’adaptation des enfants (Dubé et al., 2018; Slade, 2005), des programmes d'intervention dyadique mère-enfant, tel l’Intervention Relationnelle qui vise le développement de pratiques parentales sensibles pour bien décoder et répondre aux besoins des enfants seraient des plus pertinents (Moss et al., 2014; Simon-Herrera et Duriez, 2021; Tarabulsy et al., 2018). Finalement, les résultats soulignent la nécessité de déployer des programmes de prévention, tel le projet Soutenir la transition et l’engagement à la parentalité (STEP; Berthelot et al., 2018) et Programme d’aide personnelle, familiale et communautaire (PAPFC; Lacharité et Lafantaisie, 2016) pour soutenir les mères et futures mères vulnérables dans leurs rôles parentaux et le développement de leurs FRP.
Collection
- Moissonnage BAC [4111]
- Éducation – Mémoires [868]
The following license files are associated with this document: