Les effets des émotions sur les fonctions exécutives des enfants de 9 à 10 ans

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Publication date
2020Author(s)
Restrepo, Gérardo
Subject
ÉmotionAbstract
Cette recherche doctorale, qui s’inscrit dans le champ interdisciplinaire des sciences affectives (Coan et Allen, 2007; Davidson, Goldsmith et Scherer, 2003), a pour objectif d’étudier l’effet de la dimension affective de la personne sur ses capacités cognitives, et plus précisément l’effet de deux émotions de base sur les fonctions exécutives d’enfants du primaire. En effet, la plupart des mécanismes psychologiques et cognitifs sont influencés par les émotions, tant chez l’adulte que chez l’enfant. Pour leur part, les fonctions exécutives désignent des processus cognitifs de haut niveau sollicités dans de situations nouvelles et jouent un rôle essentiel dans l’apprentissage, le développement et les interactions sociales.
De façon générale, les liens entre affect et cognition ont été conceptualisés par trois grandes théories, à savoir la théorie capacitaire (Ellis et Ashbrook, 1988), la théorie des styles de traitement de l’information (Schwarz et Bless, 1991) et la théorie des émotions comme facilitatrices cognitives (Ashby, Isen et Turken, 1999). La première postule que les émotions, tant positives que négatives, auraient un effet négatif sur le traitement de l’information cognitive. La seconde avance l’idée que les émotions positives favoriseraient un traitement global de l’information tandis que les émotions négatives conduiraient à un traitement analytique et systématique de l’information. La troisième, enfin, soutient, en s’appuyant sur l’idée que les mécanismes motivationnels facilitent le traitement de l’information, que la performance sera plus élevée si la tâche cognitive est agréable et intéressante.
Nous avons fait état des liens connus à ce jour entre les émotions et les fonctions exécutives, après avoir défini ces deux concepts, dans le chapitre consacré au cadre conceptuel. Dans cette thèse, le concept d’émotion retenu est celui défini par Frijda (2000), qui considère que les émotions impliquent une relation sujet-objet et qu’elles sont déclenchées en réponse à une situation spécifique identifiable. Les trois fonctions exécutives qui font l’objet de cette étude sont la capacité d’inhibition, la flexibilité cognitive et la mise à jour de la mémoire de travail (Miyake et al., 2000). L’inhibition correspond à la capacité de prévenir la production de réponses prédominantes, mais inadéquates, ou de supprimer l’information quand elle devient inutile (Friedman et Miyake, 2004). La flexibilité cognitive est la capacité de sélectionner une nouvelle réponse en fonction d’une variation présente dans l’environnement (Collette et al., 2006). La mise à jour est l’habileté cognitive qui permet de remplacer l’ancienne information retenue dans la mémoire de travail par une nouvelle information plus pertinente pour accomplir une tâche cognitive spécifique (Miyake et al., 2000). Il existe deux modèles qui tentent d’expliquer la structure et le développement des fonctions exécutives. Le modèle de Fridman et al. (2011) postule une structure unitaire au départ qui se ramifie par la suite en plusieurs composantes spécifiques, tandis que le modèle de Diamond (2003) propose plutôt une structure intégrative et hiérarchisée pour expliquer le développement des trois fonctions exécutives de base. Une revue approfondie de la littérature nous a permis d’identifier les études portant sur l’induction des émotions et leurs effets sur les fonctions exécutives chez les adultes. Si cette recension d’écrits a donné des résultats contradictoires, elle nous a néanmoins permis d’orienter notre recherche relative aux méthodes d’induction des émotions utilisées auprès des enfants et de constater que la lecture de récits semblait être une méthode prometteuse à cet égard. Cette dernière recension d’écrits a attiré notre attention sur deux points précis : premièrement, le nombre d’études visant à induire des émotions chez les enfants est très peu élevé et, deuxièmement, aucune n’a cherché à vérifier l’effet des émotions induites sur des fonctions exécutives comme telles. Ainsi, la question spécifique de cette étude est la suivante : de quelle façon les émotions influencent-elles les fonctions exécutives de base d’enfants de neuf à dix ans? Les hypothèses que nous avons tenté de vérifier sont les suivantes : Premièrement, la lecture d’un texte à valence joyeuse ou triste aura un effet sur le ressenti émotionnel des enfants. Deuxièmement, les émotions induites exerceront un effet négatif sur les résultats obtenus par les enfants aux trois épreuves de fonctions exécutives utilisées pour évaluer ces dernières. Troisièmement, les enfants exposés au récit joyeux obtiendront de moins bons résultats aux tests de functions executives que ceux exposés au récit triste.
Pour tester ces hypothèses, nous avons eu recours à une méthode expérimentale en vertu de laquelle les enfants ont été répartis aléatoirement en trois groupes, l’un exposé à un récit joyeux, un autre à un récit triste et un autre encore à un récit neutre (groupe témoin). Pour vérifier l’effet des émotions induites par ces récits sur les fonctions exécutives, nous avons utilisé le STROOP pour mesurer l’inhibition, le Wisconsin sorting card test pour mesurer la flexibilité cognitive et le Continuous performance test pour mesurer la mise à jour de la mémoire de travail. L’échantillon est composé de 157 enfants âgés de neuf à dix ans et fréquentant des classes de 4e et 5e années du primaire. Nous avons commencé par nous assurer que les groupes étaient équivalents en ce qui a trait à leur fonctionnement exécutif à l’aide du BRIEF. Puis nous avons évalué l’état émotionnel des participants avant la procédure d’induction puis immédiatement après celle-ci. Les enfants étaient ensuite invités à exécuter les épreuves de fonctions exécutives mentionnées ci-dessus.
Les résultats confirment la première hypothèse, c’est-à-dire que les enfants exposés au récit joyeux se sont déclarés plus joyeux après la lecture de ce récit tandis que les enfants exposés au récit triste se sont déclarés plus tristes après la lecture de ce récit et que l’affect des enfants exposés au récit neutre n’a pas été modifié. Ils confirment partiellement la deuxième hypothèse, puisque le groupe exposé au récit joyeux a obtenu des résultats significativement plus faibles à la mesure de la capacité d’inhibition et que les groupes exposés aux récits joyeux et triste ont obtenu des résultats inférieurs à celui exposé au récit neutre à la mesure de la mise à jour de la mémoire de travail. Toutefois, ce second résultat est marginalement significatif. Enfin, nous n’avons observé aucune différence en ce qui a trait à la flexibilité cognitive. Les résultats infirment la troisième hypothèse. Par contre, ils ont révélé un effet du niveau de scolarité, tel que les élèves de 5e année ont mieux réussi les épreuves de fonctions exécutives que ceux de 4e année.
Ces résultats appuient partiellement la théorie capacitaire (Ellis et Ashbrook, 1988), d’une part, mais permettent difficilement de trancher en faveur de l’une des deux théories qui traitent de la structure et du développement des fonctions exécutives. L’effet du niveau de scolarité laisse penser que les fonctions exécutives de base continuent à se développer entre l’âge de neuf et dix ans, ce qui va à l’encontre de l’hypothèse largement répandue que ces trois fonctions exécutives atteignent leur pleine maturité à l’âge de neuf ans. L’originalité de cette étude réside dans le fait qu’elle est la première à évaluer l’effet d’émotions de base sur les fonctions exécutives comme telles, d’une part, ainsi que dans l’efficacité de la méthode d’induction utilisée et dans le fait que nous avons rencontré chaque participant individuellement, d’autre part.
Collection
- Moissonnage BAC [4262]
- Éducation – Thèses et essais doctoraux [284]
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