À quoi sert le droit? Un complément sociologique à l’odyssée philosophique de François Ost

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Publication date
2017Author(s)
Belley, Jean-Guy
Subject
DroitAbstract
Ce texte propose un commentaire critique sur le plus récent livre de François OST : « À quoi
sert le droit? Usages, fonctions, finalités ». La réflexion philosophique de François Ost l’a mené à la
conclusion que l’importance sociale du droit réside essentiellement dans sa contribution à la poursuite
de l’idéal humaniste. La tradition juridique occidentale a fait du droit une institution de second degré
dont la fonction primordiale est de constituer symboliquement chaque être humain en sujet de droit
et citoyen. Dans les rapports entre justiciables comme dans le fonctionnement des institutions
politiques, le droit impose des exigences réflexives et procédurales qui traduisent l’aspiration de l’être
humain à la liberté, à la rationalité et à l’engagement responsable au sein d’une communauté
politique. L’autorité et la centralité du droit paraissent aujourd’hui décliner au profit de nouvelles
normativités et techniques de régulation qui influencent les comportements sans faire appel à la
conscience individuelle ni à la délibération démocratique. Dans ce contexte, la valeur morale et
politique de l’humanisme juridique est indéniable. Il convient toutefois d’ajouter à la réflexion
philosophique de François Ost une analyse foncièrement sociologique pour appréhender avec plus de
réalisme la contribution du droit au fonctionnement des sociétés occidentales. Loin d’être incompatible
avec les calculs pragmatiques, la mobilisation du droit contribue aujourd’hui à l’essor d’une régulation
plus instrumentale que symbolique dans la plupart des sphères sociales, y compris dans les activités
de l’État. Dans le contexte de la modernité avancée ou de la postmodernité, le droit se conçoit
davantage comme une ressource pour l’action rationnelle en finalité qu’à titre de référence idéale pour
l’action rationnelle en valeur. Certes, l’humanisme classique s’exprime encore en théorie du droit et
dans certaines grandes décisions judiciaires fortement médiatisées. Mais, il ne faut pas se méprendre
sur la portée sociologique de ces manifestations symboliques. Elles n’ont pas pour effet de soumettre
l’action sociale ou politique au contrôle souverain du droit. Elles offrent plutôt aux élites et aux
citoyens ordinaires un refuge psychosocial contre les vertiges moraux et existentiels qui vont de pair
avec les avancées de la société technologique. Abstract: This paper proposes a critical commentary on François OST’s most recent book: “À quoi sert
le droit? Usages, fonctions, finalités”. Ost’s philosophical inquiry has led him to conclude that the
social importance of law essentially turns upon its contribution to the pursuit of a humanist ideal. The
Western legal tradition has established the law as an autonomous institution whose primary function
is to symbolically constitute every human being as a legal subject and a citizen. In private relations
between social actors as well as in the functioning of state institutions, the law imposes reflexive and
procedural requirements which express the aspiration of human being to freedom, to rational action
and to responsible membership within a political community. Today, the authority and centrality of
the law seem superseded by new normativities and regulatory techniques that tend to govern the
behavior of social actors without appealing to individual conscience nor to democratic decisionmaking.
Notwithstanding its obvious moral and political value in the present context, Ost’s idealist
philosophy must be supplemented by a truly sociological analysis in order to appreciate more
realistically the contemporary significance of law. Far from being incompatible with pragmatic
considerations, the mobilization of law contributes today to the primacy of instrumental over symbolic
regulation in most social spheres, including state institutions. In the context of advanced modernity
or postmodernity, law is better apprehended as a technical resource for purposive action than as a
reference model for value-rational conduct. Admittedly, the ideal of classical humanism is still present
in jurisprudence and often plays a determinant role in highly publicized judicial decisions. However,
the sociological significance of the current symbolic manifestations of law needs to be properly
assessed. Those manifestations do not amount to subjecting social or political processes to the
preponderant control of law. Rather, they provide elite members and ordinary citizens with a
psychosocial refuge from the moral and existential vertigos which accompany the advancement of a
technological society.
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