La photographie commerciale à Sherbrooke

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Publication date
1993Author(s)
Belleau, Bernard
Abstract
À l'origine de notre intérêt pour la photographie commerciale à Sherbrooke au 19ème siècle, se retrouve une interrogation beaucoup plus vaste sur la valeur des photographies utilisées comme sources historiques. En effet, dans la littérature spécialisée, les photo graphies sont encore le plus souvent employées pour illustrer un fait, un événement ou pour représenter un personnage marquant. Cependant, à l'instar de plusieurs auteurs, nous croyons qu'il est possible de se servir des images photographiques comme d'un outil d'analyse spécifique pour l'étude d'une époque ou d'une société déterminée. Mais, comme pour toutes les sources dont dispose l'historien, les photographies doivent être questionnées pour savoir comment les aborder et caractériser leurs possibilités et leurs limites. C'est ainsi que, tout d'abord, il faut nécessaire ment s'interroger sur les rapports que la photographie entretient avec la réalité. Depuis son invention en 1839 plusieurs discours ont prévalu sur cette question; dans L'acte photographique le sémiologue Phi lippe Dubois les résume d'une façon intéressante. Selon cette catégorisation, la photographie est perçue durant tout le 19ème — siècle, comme le miroir du réel, c'est-à-dire comme une reproduction fidèle de la réalité. Aujourd'hui encore, cette conception domine dans l'opinion du grand public. Dès les premières décennies du 20ème siècle pourtant, ce discours est de plus en plus sujet à la critique; l'image photographique est bien considérée comme une représentation du réel, mais construite selon certaines conventions sociales. Elle correspond donc à un langage codé. En même temps que prédomine cette interprétation, une nouvelle vision tend à se développer à partir des années 1970. Plusieurs auteurs font alors remarquer que malgré tout le codage qui est inscrit dans la photo graphie, il y subsiste tout de même une impression de réalité qui provient du fait que cette image réfère toujours directement à l'objet photographié. Ce phénomène trouve son explication dans le dispositif photographique lui-même. En effet, au moment précis où l'image impressionne la pellicule, le photographe ne contrôle plus le processus et la relation se développe uniquement entre le réfèrent et l'appareil. Par définition, l'image photographique est donc neutre et tout son sens lui est conféré avant ou après la prise de vue, jamais pendant. Une photographie demeure, selon cette opinion, un index, une trace du réel. Une telle théorie oblige le chercheur à ne plus considérer les photographies historiques comme le simple miroir d'une société, mais plutôt comme le reflet d'une certaine réalité qui, d'ailleurs, n'est pas nécessairement de nature exclusive. En effet, les images fabriquées à New York par les ateliers de portraits au tournant du siècle, et celles que nous ont léguées les réformistes tels Jacob A. Riis pour la même époque, vont nous donner des perceptions de la société new-yorkaise totalement différentes, voire contradictoires, mais également vraies. Dans le même sens, la photographie commerciale produit une image différente de la photographie amateur. Julia Hirsch, dans Family photoaraphs. Contents, meanina and effects. aborde la question en faisant remarquer que les images fabriquées par les professionnels et les amateurs ne diffèrent pas tellement au niveau des thèmes exploités, mais plutôt par la structure des photographies et, surtout, par les significations qui leur sont données. Ainsi, la photographie commerciale jette un regard sur la famille tandis que la photographie amateur pénètre son vécu quotidien. J. Hirsch résume la différence entre les deux genres; While formai photography is about condition and being, candid photography is about process and circumstance. Pour être en mesure de bien saisir la réalité qui nous est proposée dans les photographies historiques, il importe donc de s'interroger sur leurs conditions de production ou, plus simplement, sur ceux qui les ont fabriquées, sur ceux à qui elles sont adressées ainsi que sur les buts pour lesquels elles ont été produites ou reproduites. Ce travail, nécessaire à notre avis, permet de lier les photographies historiques à une perception de la société et donne ainsi une signification plus profonde à l'image. Dans le même sens, pour bien saisir la vision de la société sherbrookoise que nous a laissé la photographie commerciale au 19—* siècle, il faut, avant tout, nous interroger sur les photographes qui ont tenu des studios à Sherbrooke à cette époque. Qui sont-ils?