La perception de la folie au Quebec au XVIIIe siècle

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Publication date
1989Author(s)
Boisclair, Guy
Abstract
Le statut des malades mentaux et l'attitude que la société adopte envers eux sont la conséquence directe du système de valeurs -fondamentales de cette société (1). La perception que nous avons aujourd'hui de la folie, ainsi que les attitudes développées pour transiger avec elle, relève de ce type particulier de problèmes qu'une société n'a pas réussi à intégrer et qu'elle relègue alors aux extrêmes I imites de sa conscience, là où commence l'oubli. La folie nous effraie. C'est qu'elle nous interpelle. Elle dresse devant nous un miroir qui nous renvoie l'image angoissante de ce que nous ne sommes pas sensés être. Elle bafoue les définitions les plus fondamentales que notre société bourgeoise a données de l'être humain. Elle met en cause les valeurs les plus profondes sur lesquelles notre édifice social est érigé. Lui donner droit de cité signifierait ébranler définitivement ces piliers que l'on veut croire éternels. Il vaut mieux la reléguer aux oubliettes, faire comme si elle n'existait pas. L'attitude spontanée et simple de la société envers le fou est faite surtout de répression, d'exclusion et de négation. On écarte ce qui dérange; on le méprise, on le nie et on l'oublie. On dit et on met le malade hors de nous; hors de soi, hors de la société: le simple fait d'envisager la possibiIité qu'il ait un point de vue ou une perspective sociale particulière, rendrait possible qu'i I puisse rentrer dans une société, et contredirait notre conduite antérieure. Nous n'avons pas intérêt à mettre notre attitude primitive en cause (2). A la confrontation angoissante, Folie-Société bourgeoise, cette dernière a bien tenté de trouver une réponse réconfortante, atteints dans leurs plus nobles -facultés; l'intelligence (3)". Mais qu'on ne s'y trompe pas: ces manifestations aux allures humanisantes ne recèlent en rien une volonté de reconnaissance ou d'acceptation de la folie, au contraire. L'asile de l'âge positiviste, tel qu'on fait gloire à Pinel de l'avoir fondé, n'est pas un Iibre domaine d'observation, de diagnostic et de thérapeutique; c'est un espace judiciaire où on est accusé, jugé et condamné, et dont on ne se I ibère que par la version de ce procès dans la profondeur psychologique, c'est-à-dire par le repentir. La folie sera punie à l'asile, même si elle est innocentée au-dehors. Elle est pour longtemps, et jusqu'à nos jours au moins, emprisonnée dans un monde moral (4). "Jusqu'à nos jours au moins", cela reste toujours vrai malgré l'avènement de l'antipsychiatrie, courant de pensée né en Grande-Bretagne dans les années soixante avec Ronald D. Laing et D. Cooter (5). Ce mouvement refuse la coercition asilaire, la chimiothérapie et jusqu'à l'intervention du psychiatre. En fait, l’antipsychiatrie pose la question fondamentale: "Doit-on soigner une maladie mentale ? Pourquoi ne pas respecter l'attitude régressive du schizophrène qui va jusqu'à l’indifférence totale vis-à-vis du monde extérieur (6) ?" Question dangereuse, dérangeante, que ne posent, en fait, que quelques individus, sans qu'elle ne suscite encore de résonance significative dans le reste de la société. Le souci de décentralisation des soins psychiatriques manifesté tout dernièrement par une commission d'enquête québécoise (7) ne relève pas non plus du désir de reconnaître le droit à l'existence de la folie.